L’image numérique ou la recherche du négatif

Texte de David Yon, 2013

L’ère de la numérisation, nous y sommes. Le pixel est partout. Unité virtuelle d’un monde d’images. Du téléphone portable à l’appareil photo, de la télévision à la caméra, de l’ordinateur à la salle de cinéma. Le code numérique englobe aujourd’hui tous les médias. Digital comme disent les anglais. En français digitale, cela évoque le doigt, la main, le toucher. La première figuration de l’homme est l’empreinte d’une main. L’homme dans la grotte pose sa main sur la roche, dans sa bouche des pigments de couleur, il souffle ces pigments sur sa main. La roche se colore, il retire sa main. Le négatif est là. La distance entre lui et cette forme. La présence de sa main, là, immuable pendant des millénaires.

Pour commencer à enregistrer une image, on dit “ça tourne”, car la bobine de la pellicule tourne, une cassette tourne. Aujourd’hui, on filme directement en numérique sur des cartes mémoires. Ça ne tourne plus. Et la mémoire, elle est de plus en plus fragile. Si des bobines de pellicule ont pu être sauvegardées et projetées après un siècle, qu’en sera-t-il du nouveau support de diffusion universelle qu’est le DCP, (Digital Cinema Package). Dans cent ans les codages auront certainement changé et nous ne serons sûrement plus capables de décoder ces données numériques en images et en sons. C’est le paradoxe de notre époque, nous n’avons jamais autant produit d’images, mais ces images sont plus que jamais vouées à l’oubli.
J’avais commencé cet échange en évoquant les mains négatives. La pellicule fonctionne avec le même principe, le négatif. La lumière impressionne un négatif, au développement, l’image se révèle, puis le tirage d’un positif permet de restituer cette lumière en projection. Avec le numérique, nous avons perdu le négatif. Pour beaucoup cette perte est douloureuse, c’est le rapport au monde qui est ainsi bouleversé. Nous cherchons alors, par d’autres moyens, à retrouver le négatif, cette distance de l’image. L’ère du numérique, c’est l’ère du morcellement et des réseaux. Petit à petit, notre façon de regarder les images change. Avec Internet, regarder des images, c’est déjà les monter, nous passons ainsi d’un travelling issu d’un film russe à un clip africain à… Toutes ces images qui s’accumulent sur des serveurs, c’est notre mémoire. Et c’est peut-être la première fois dans l’histoire de l’humanité où nous avons accès à une mémoire mondiale.

Texte initialement paru dans la revue Wachma, hiver 2013, Le cinéma à l’ère de la numérisation.

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